Biographie des Stooges

Pour comprendre l’origine des Stooges, il faut chercher du côté de la colère et de l’ennui. Colère ressentie par un certain James Osterberg, futur Iggy Pop, alors qu’on lui fait violemment comprendre à l’adolescence, qu’il est un « trailer trash » : un déchet de caravane de la banlieue d’Ann Arbor, Michigan. Le « doux » terme de « trailer trash » désigne aux Etats-Unis la légion d’Américains qui n’ont pas de maison en dur, et qui vivent parqués dans des zones spécialement aménagées. Remercions vivement les sauvageons des beaux quartiers d’avoir procuré à Iggy la colère qui le motive jusqu’à aujourd’hui. Comme il l’a toujours reconnu, c’est l’envie de mettre ce type de personnes sous sa botte qui lui a donné la hargne de créer son avenir. Et quoi de mieux que de devenir Mick Jagger ou Bo Diddley pour y parvenir ? L’ennui est à mettre au compte des frangins Ron et Scott Asheton et de leur pote Zander, alias Dave Alexander. Comme Iggy, mais aussi comme tout ado qui aime la musique, ils sont fascinés par les Who et Hendrix. Tous trois pourris par leurs mères respectives, ils semblent devoir à court terme grossir les rangs des délinquants d’Ann Arbor. Mais Iggy, en boule de nerf ambitieuse, a besoin de fonder un nouveau groupe, après quelques expériences peu concluantes. Il les recrute alors tous trois. Au départ, pas d’attributions instrumentales ni de direction musicale précise pour le groupe. Cependant, tous se retrouvent dans l’envie de faire une musique nouvelle, amalgame sonore de toutes leurs influences : de la musique d’Harry Partch ou Ravi Shankar en passant Screamin’ Jay Hawkins. Mais il faut bien reconnaître que sans pognon et à peine musiciens, il est dur de vouloir faire autre chose que d’inventer sa propre musique, par essence à sa portée… L’improvisation bruitiste marque alors les débuts du dit groupe.

Les Psychedelic Stooges naissent en 1967 et donnent leur premier concert au début de l’année suivante. Les concerts consistent aussi en un mur de décibels infranchissable, sans chanteur. Iggy vient peu à peu au micro (mais dire que c’est pour y chanter serait excessif). Il n’a que sa hargne à cracher, à répandre sur un public curieux de voir ce groupe psychédélique qui n’a pas encore touché à l’acide. Les prestations se « rationalisent » légèrement courant 1969, à tel point que certains morceaux ne dépassent pas plus de trente minutes. Les concerts se multiplient et les Stooges font les premières parties de l’autre groupe mythique de Detroit : les MC5. Bien leur a pris, car c’est pour ce même groupe que vient Danny Fields (chef de pub de Elektra Records -compagnie des Doors et de Tim Buckley) avec un contrat sous la main. Au passage, il signe aussi les Stooges, avec à la clef l’enregistrement d’un album.

The Stooges, produit par John Cale du Velvet Underground, le premier LP du groupe est calibré avec des titres aux durées exploitables par les DJ de radios étudiantes. Le groupe y expose son discours : nihiliste, punk avant l’heure, mais pas dénué d’humour, proposant des chansons devenues légendaires : 1969, No fun ou I wanna be your dog. Malgré le succès mitigé, Elektra les laisse faire leur second album à Los Angeles, Funhouse. Enregistré en dix jours par un groupe désormais vraiment sous acide, Funhouse est la perle noire du groupe. Il distille un venin toujours virulent dans l’esprit de celui qui écoute 1970, Funhouse ou Down on the street. Artistiquement brillant et en adéquation avec un groupe en quête de nouvelles voies musicales, Funhouse est en complet décalage avec les objectifs commerciaux d’Elektra. L’héroïne entre en scène et sert de prétexte à la maison de disque pour lourder les « faire-valoir » (une des traductions possible du mot « stooges ») qui ne rapportent pas un rond. 1971 scelle la fin d’un cycle, la mort des Stooges première version. Dave Alexander a été viré l’année précédente, un deuxième guitariste, James Williamson arrive dans le groupe, et Iggy n’est plus bon à grand-chose… la dope ronge le noyau formé en 1967 autour de l’amour de la musique. On remarquera que rien de ce qui est composé à cette période ne traversa les âges, si ce n’est I got a right, une des premières compositions Pop / Williamson. Iggy & the Stooges. Toxico, édenté et sans un rond, Iggy quitte le groupe et erre à New York. Restés à Ann Arbor, les Asheton sont tout aussi démunis et enragent d’avoir été lâchés par leur chanteur. On les verra accepter 100 dollars pour donner un concert lors duquel des inconnus peuvent monter sur scène et singer l’Iguane… Le sursaut vient de Bowie, alors en passe d’exploser avec Ziggy Stardust. Friand de nouveautés, si possible américaines, il débauche Iggy qui embarque Williamson pour l’Angleterre. Les frères Asheton sont oubliés jusqu’à ce que Pop et Williamson réalisent que les anglais sont trop mous pour assurer basse et batterie de puissance stoogienne. Le groupe se reforme alors, mais ce n’est plus comme avant : ils sont employés du label de Bowie, Mainman. De plus, Ron ne peut plus signer de chansons, puisqu’il est désormais bassiste, remplacé à la guitare par James Williamson. Jamais les Asheton n’ont mieux porté leur nom de Stooges. La situation est soulignée par le nouveau nom du groupe : Iggy Pop & the Stooges. Ils viennent après le boss mégalomane. Désintoxiqué, le groupe repart sur de meilleures bases sanitaires, et répète toujours autant.

Naîtra en Angleterre le fameux Raw Power, album de rock’n’roll façon Iggy & the Stooges. Que cet album soit un nouveau suicide commercial pour le groupe n’est pas certain. Son insuccès vient de la maison de disque Mainman qui n’assure aucune promo autour du groupe et leur interdit de faire des concerts durant l’année 1972. Un comble pour un groupe de scène comme les Stooges ! En 1973, les Stooges s’installent en Californie. Mainman les vire bientôt. Le groupe persévère, compose et essaie de donner des shows mémorables. Mais le fiasco persistant, et l’air vicié de L.A. fait replonger les membres du groupe dans les friandises toxiques. Comme en 1970 et 1971, Ron Asheton, perpétuellement clean, assiste à la déchéance. Les concerts du groupe deviennent de plus en plus extrêmes, du fait d’un Iggy avide d’en découdre avec un public qui les rejette. Le groupe, en état de siège permanent, fait bloc… Mais la fissure vient de l’intérieur. En 1974, Iggy lâche par téléphone cette phrase à Ron Asheton, après un concert mémorable au Michigan Palace : « I’m wasted. I quit.» (je suis rincé, j’arrête). Ils ne joueront plus jamais ensemble… C’est du moins que l’histoire du rock prenait pour définitif jusqu’en 2003…

Tibo Pinsard.